Derrière l’objectif de Pierre et Gilles

 

 Derrière l’objectif de Pierre et Gilles, Photos et propos, propos recueillis par Chloé Devis, Hoëbeke, 2013, Paris, 157 p.
par Florent Barnades, journaliste indépendant.

 

Les œuvres de Pierre et Gilles sont à mi-chemin entre photographie et peinture. Elles répondent parfaitement à la définition de Dian Hanson[1] qui évoque le « néo-pictorialisme » des artistes contemporains.

 

Tout d’abord, par une recherche de mise en scène qui est très poussée. Ensuite, par le travail suivant la photographie, de rajout de peinture sur les tirages, de mise en scène de l’œuvre, de l’encadrement, qui est une composante importante aux yeux de ces deux artistes. C’est l’intérêt majeur de cet ouvrage : passer « derrière l’objectif », avoir le « making of ». C’est aussi l’intérêt de cette collection qui livre son cinquième tome[2]. Les artistes livrent leur secret de fabrication, leur inspiration et les origines de leur univers. A travers des entretiens et des commentaires d’œuvres, Pierre et Gilles exposent leur univers pop et coloré : « Genèse, Pop art et culture populaire, mythes et religion, enfance, corps et âmes, la mort » constituent les sept chapitres qui structurent le livre. Chacun de ces thèmes se déploient à travers des œuvres célèbres ou inconnues. On croise des « stars » comme des anonymes qui se prêtent à des mises en scène complexes dont on découvre les ficelles. Cet ouvrage sera précieux pour les professeurs d’arts plastiques qui souhaitent faire travailler leurs élèves sur la mise en scène : comment construire une profondeur de champ, comment donner l’illusion de la pluie grâce à du fil nylon, détourner des objets… Il y a un côté très ludique dans l’œuvre de Pierre et Gilles : de par les couleurs, les références populaires ou très immédiates à comprendre. Cependant, cette légèreté n’est que de façade. Ce couple d’artistes n’hésite pas à toucher à des sujets comme l’homosexualité, la mort ou la perversion de l’enfant dans des œuvres toujours aux couleurs de bonbon mais dont le personnage central est physiquement blessé (comme à plusieurs reprises Saint Sébastien percé de flèches) ou exprime un mal-être, une angoisse parfois par des entraves physiques parfois seulement par des larmes (on pleure beaucoup dans les œuvres de Pierre et Gilles). La mise en scène du corps est toujours percutante. Sa magnification est permanente : à travers des figures mythologiques ou religieuses, des uniformes (le marin est un leitmotiv), le costume de cérémonie, ou simplement une nudité parfaite et retouchée. Cette mise en scène qui ne nie nullement la sexualisation peut être dérangeante comme quand il touche au sacré : les jardins du paradis, datant de 2006, font référence au paradis promis au croyant musulman. Mais ce ne sont pas des Houris[3] qui accueillent le spectateur : dans un cadre rehaussé de paillettes et de guirlandes lumineuses, trois éphèbes nus se tiennent la main. Il ya souvent une provocation ludique dans les œuvres : Zahia Dehar, ancienne prostituée devenue célèbre par un fait divers, devient la Nouvelle Eve. Pierre et Gilles ne sont pas des artistes coupés du monde : ils s’en nourrissent et s’en amusent. Il ne faut pas chercher de profondeur métaphysique chez ces artistes. Le message se veut clair. La technique qui rend leurs images si attractives et si pop participe à cette simplicité. Ce petit ouvrage est réellement intéressant pour les amateurs d’arts plastiques. Il est didactique et plaisant. La dernière image est un beau clin d’œil à l’actualité : le mariage de Pierre et Gilles, brushings et costumes de circonstance, sous un portrait de François hollande aux joues roses. Ils démontrent que l’image n’a pas besoin d’être sérieuse pour être politique. Comme les héros de Milan Kundera dans le livre du rire et de l’oubli, il faut avoir à que le rire est aussi une arme politique.

 


[1] Dian Hanson, the new erotic photography volume 2, 2012, Taschen, p.21

[2] Dans l’ordre : Willy Ronis, Eric Valli, Reza, Hans Silvester.

[3] Vierges promises aux bienheureux qui atteignent le paradis musulman