Le Centre Pompidou en voie de globalisation !

 

Ouverte trop discrètement dans une actualité pléthorique, ne ratez surtout pas le nouvel accrochage des collections au Centre Pompidou sous le titre de "Modernités plurielles. 1905-1970". C'est stimulant et il y a d'indéniables réussites. 

 

Elles éclatent de prime abord. Quelles collections d'exception en effet et tellement diverses. On voit, revoit et on a plaisir à voir. Où pourrait-on faire une pareille traversée visuelle avec tant de pièces majeures ? Ensuite, ces remises en questions par une "pensée visuelle en actes" restent toujours salutaires : les expositions, depuis longtemps, créent aussi notre compréhension du monde. Elles rebattent les cartes : ici en insistant sur les mouvements, les revues, les courants de pensée, tellement fondamentaux dans ce siècle qui fut aussi un siècle du papier. Enfin, après Les Magiciens de la Terre de Jean-Hubert Martin, on a le sentiment de prendre enfin la mesure du grand phénomène planétaire d'explosion de la notion d'arts plastiques occidentale vers l'ensemble des continents avec des allers et retours (par phagocytage).


Alors --je préfère en parler, car la chose est symptomatique-- j'aurais pu concevoir quelque acrimonie personnelle en regardant le méritoire recueil de textes Art et mondialisation, pas exhaustif évidemment, de Catherine Grenier et Sophie Orlando, publié parallèlement au catalogue, où j'étais absent. Rappelons quand même, dans nos temps d'obsolescence programmée, qu'après 20 ans d'expositions en 2000, j'ai alors synthétisé ces travaux dans une histoire du visuel au XXe siècle rééditée en poche, puis conçu le Dictionnaire mondial des images et ensuite une histoire mondiale de la production visuelle humaine à destination pédagogique. Cela a forcément eu une influence quant à la compréhension du rapport des arts plastiques et des images non-artistiques et quant à la prise de conscience de leur circulation planétaire (ancienne), doublée par leur multiplication industrielle (actuelle). Ma génération avait été éduquée à citer les travaux antérieurs quoi qu'on pût en penser, par scrupule scientifique.
Bon, bref, nous sommes en France et, à près de 60 ans, il existe évidemment des préoccupations plus fondamentales. Donc, pour revenir à l'exposition elle-même, cela semblera certes imparfait pour les spécialistes et sûrement confus pour le béotien, mais --répétons-le-- il faut absolument y aller.
Insistons sur plusieurs points pour finir. L'importance de la circulation des idées et des formes, l'interpénétration des expressions artistiques, avec d'excellentes parties photos ou architecture et un peu de design (mais un cinéma presque oublié), cela fait du bien par rapport aux enclavements mentaux habituels. Et puis on y contemple des pièces peu ou pas montrées. D'aucuns constesteront --ce qui est inévitable à ce type d'entreprise courageuse-- des choix d'artistes, des formes d'expression manquantes, mais l'ensemble est puissant visuellement et constitue un formidable moment de réflexion. A consommer sûrement en plusieurs et heureux retours, par petits bouts, pédagogiquement en travaillant sur des parties successives et des cas particuliers.
Une politique à poursuivre car on sent que, par delà cette forme de manifeste de la globalisation des expressions artistiques, de multiples développements spécialisés seront nécessaires sur les passages de frontières. Elles sont, nous l'avons compris, des frontières physiques, des frontières de cultures, des frontières de modes d'expression et les frontières de la notion même d'arts plastiques, questionnant désormais musées comme créateurs.
Au temps de la multiplication industrielle, de la prolifération, de l'explosion des productions, de leur circulation planétaire et de la porosité des genres, comment classer, sélectionner, valoriser, donner des repères ? Si l'art est partout, l'art est nulle part ?
Allez vite au Centre Pompidou pour une bonne claque visuelle et mentale !

Laurent Gervereau