decryptcult #07, l’édito de Laurent Gervereau

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Notre thème du mois : Changer l'économie, changer d'économie

L'économie est devenue une sorte de nouvelle religion. Les comptables dirigent au nom de chiffres qu'ils génèrent. Les bureaucraties inventent des normes pour croître et prospérer. Au lieu de faire, on contrôle. Au lieu de fixer des caps d'organisation collective, on gère.

Cette primauté de l'économie est désormais interrogée de toutes part quand les échecs sont patents. Ils sont patents en ce qui concerne la répartition de la richesse monétaire, l'équilibre des marchés, la durabilité (pollutions et épuisement potentiel des ressources) ou le sentiment de bien-être des populations.

L'économie dépend de trop d'aspects différents, dont certains de psychologie sociale, pour être considérée comme une science exacte. Même si elle manie des chiffres, il ne s'agit pas de mathématiques. Le choix des chiffres compte davantage en l'occurrence que les chiffres eux-mêmes. Il est fait pour des raisons qui peuvent être idéologiques ou d'intérêts économiques catégoriels de lobbies. Alors, quand la maison collective devrait être conçue par des architectes, faisant de la politique au sens noble (souci de la "polis", de la "cité" en grec, c'est-à-dire de l'intérêt général), nous nous retrouvons avec des techniciens, des plombiers qui bricolent les tuyaux de cette maison collective en nous abreuvant de statistiques sur le passage de l'eau dans les conduits. Croître, mais dans quel but ? Pour quelles sociétés ? Travailler dans quel projet collectif ?

La notion abstraite d'économie a accompagné le passage de la politique à la technocratie, comme si des lois mathématiques régissaient avec absolutisme une planète sous la contrainte. Ainsi, à l'ère de la télévision, s'est développée une "société du spectacle", comme la définissait Guy Debord, faite de consommateurs addictifs dociles et non plus de citoyennes et de citoyens. Désormais, à l'ère d'Internet, nous passons au temps des consommateurs-acteurs dans des "sociétés des spectateurs-acteurs". Cela interroge autant la notion d'économie que les usages économiques comme modes de vie.

Alors, certains analystes prônent de sortir de ce primat de l'économie. D'autres considèrent que c'est le regard et les outils de mesure qui sont mauvais. Les sondages ont remplacé en effet les élections et les consultations populaires, déni de démocratie. Ils induisent souvent les réponses dans les questions. Les hourvaris médiatiques, parfois adroitement orientés, ont plus d'impact que le débat des idées. La simple nécessité du "news market" '' --vendre les nouvelles pour survivre--, nécessité vitale désormais dans les médias traditionnels au temps de Twitter, constitue un facteur de paralysie du politique. De plus, les sondages construisent de toute façon un leurre : la moyenne statistique. Ils confortent une utopie qui est celle du juste milieu et encouragent l'inaction politique (je ne fais rien, donc je ne suis pas impopulaire), doublée de la normalisation et du contrôle de la société.

Qui prend en compte nos réalités stratifiées ? Vivre à Quimper ou à Paris ou à Ouagadougou a-t-il la même signification climatique, géographique, historique ? Les aspirations sont-elles les mêmes ? Les organisations et les économies peuvent-elles alors être diversifiées ? Le rapport du local au global est ignoré au nom d'un productivisme généralisé qui veut abraser les différences sans prendre en compte les périls globaux. On construit des consommateurs addictifs pour perpétuer un certain mode de consommation niant la relativité des comportements et voulant interdire tout choix de modes de vie, au mépris de la survie collective. Standardisation planétaire. On construit des bureaucraties du contrôle gestionnaire qui s'automultiplient en générant les normes qui les justifient et limitent (au nom souvent de bons principes) les libertés individuelles. La machine à décevoir, à détruire l'environnement comme les diverses cultures, est ainsi devenue un monstre planétaire.

Pour autant, il existe heureusement aujourd'hui de nombreux penseurs remettant en question ce totalitarisme de l'idéologie économique, d'une certaine vision de l'économie. Les peuples cherchent localement alors à s'auto-organiser, à privilégier la proximité, à développer des systèmes sociaux et solidaires, à prendre en compte toute cette économie de la gratuité, tous ces échanges matériels et immatériels qui font la base du vivre-en-commun. Au moment où est proclamée la victoire des riches à cause de la financiarisation accélérée de la planète, leur défaite patente réside dans la vacuité absolue de l'accumulation exponentielle de l'argent, qui de plus constitue un dysfonctionnement économique patent.

Disons-le alors, face au danger d'un monde normalisé non-durable dans le déséquilibre des échanges et des répartitions, le péril inverse réside dans les replis potentiels, les raidissements autarciques, un communautarisme qui fragmente la société. L'enjeu est donc de lier des micro-marchés et des diversités locales avec un fonctionnement global qui soit solidaire et responsable, durable pour notre survie planétaire.

Laurent Gervereau
Mister Local-Global
www.gervereau.com

(objet du Musée du Vivant-AgroParisTech : dessin de Gébé, "Bouffer est le moteur de l'économie")