C'est quoi, la réalité ?
- par Alexandra Miranda, Imagesmag, 2000
Internet offre aux publicitaires la possibilité de mêler la fiction et la réalité. Le brouillage n'a jamais été aussi dense, même si cette pratique remonte aux "poissons d'avril" lancés régulièrement par les journalistes. Cette confusion, volontairement créée dans des buts commerciaux, crée une "réalité vraisemblable" difficile à démonter.
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QUOI
Un journal diffusé sur internet
Il s’agit de la une d’un journal local américain (Burkittsville, Maryland) diffusé sur internet. On peut y voir l’annonce du reportage principal avec une photographie de presse prise lors d’une interview télévisée devant un tribunal, ainsi que de la publicité et des liens vers des sites plus ou moins probables. Qu’a donc ce site de particulier ? Rien, si ce n’est que tout y est entièrement fictif.
Burkittsville
Si Burkittsville est une ville bien réelle (avec une population d’environ 200 personnes, qui d’ailleurs ont réalisé leur propre site internet afin de clarifier la situation), le site est par contre une invention publicitaire pour promouvoir la sortie d’un nouveau film, Blair Witch 2 : Book of Shadows, dont la trame joue constamment sur des notions de réalité et de fiction.
Une nouvelle fiction
Ce film est présenté comme la suite de Blair Witch Project, grand succès cinématographique réalisé avec des moyens très modestes comme un documentaire dans le style des vidéos d’amateur (à la façon du film-culte de George Romero, Night of the Living Dead, de 1968, autre réalisation à petit budget). Dans la nouvelle fiction, un groupe de jeunes part à la recherche de la vérité après avoir regardé le film Blair Witch Project.
COMMENT
Un film parodique
En jouant avec la conception que la plupart des gens ont de la réalité, le site fait penser au film parodique réalisé par Rob Reiner, This is Spinal Tap (1984) que beaucoup de gens avaient pris pour un vrai documentaire sur un groupe de rock décadent à la mode.
Les "poissons d'avril"
Le procédé rappelle également les “poissons d’avril” dans les journaux, à la télévision ou à la radio, lorsque des personnalités éminentes du monde de la presse s’amusent à tromper le public en diffusant de fausses informations ou des reportages bidons. La tradition des farces du 1er avril remonte au XVIe siècle, quand le calendrier julien a été remplacé par le calendrier grégorien : on se moquait de ceux qui fêtaient par erreur la nouvelle année à l’ancienne date, le 1er avril, en les traitant de “fous d’avril”.
Un des poissons d’avril les plus célèbres de la télévision est celui de Richard Dimbleby, présentateur respectable de l’émission Panorama à la BBC, qui, le 1 avril 1957 affirma que le printemps était venu prématurément cette année-là, provoquant la moisson précoce des spaghettis en Suisse. Une vidéo montrait des paysannes contentes faisant la récolte des spaghettis dans les arbres. Le standard de la BBC avait été saturé par la quantité de gens appelant pour avoir plus de renseignements sur ce phénomène…
Une société de commerce fictive sur internet
Pour poursuivre sur le thème de la distinction entre réalité et fiction : La BBC diffuse actuellement une émission qui s’appelle Attachments, comédie autour d’une société de commerce sur internet ; le site que les héros du film sont censés gérer est en fait accessible sur le réseau à l’adresse seethru.co.uk ; il est mis à jour régulièrement en fonction des évènements se déroulant dans la comédie. Par exemple, si dans la série, les héros réussissent à conclure de bons marchés ou à négocier des mécénats d’entreprise, le ‘véritable’ site (les liens, le contenu…) est visiblement amélioré ; et inversement...
NOTRE ANALYSE
Halloween
La date choisie pour la sortie du film coïncide délibérément avec Halloween, alors qu’un nombre croissant de magasins, de commerces et de sites internet (par exemple, noos.fr) font usage de cette iconographie et de ce symbolisme immédiatement identifiables (les citrouilles, les sorcières, les squelettes, les fantômes…), comme stratégie de marketing et de ventes entre la rentrée et Noël. Le genre de l’horreur est ainsi devenu incroyablement lucratif.
L’authenticité
Cette page internet est accessible depuis une partie du site officiel, intitulée Shadow of the Blair Witch, prétendu reportage qui prépare la sortie du nouveau film en excitant la curiosité avec la diffusion d’images telles que la photographie d’un suspect emmené par des policiers. Sur notre page fictive, c’est un procès qui fait le titre principal, avec une photographie prise lors d’une interview télévisée avec la mère du suspect, devant le tribunal.
La caméra, la cameraman et l’interviewer apparaissent très visiblement sur l’image afin d’accroître l’impression d’authenticité du reportage. Au bas de la page, des liens sont proposés avec d’autres reportages concernant ce procès fictif, avec différentes émissions d’actualité et également avec des sites véritables réalisés pour la promotion du site.
Les liens
Les liens qui sont faits à partir du site fictif vers des sites réels ajoutent encore à la confusion et rendent totalement inopérante la distinction entre suppositions et certitudes. Les sites internet proposent souvent des liens vers d’autres sites, qui à leur tour ont des liens avec d’autres encore… contribuant à l’extension d’un immense réseau de connections. Le site en question, véritable agent de promotion et de publicité, utilise les propriétés de la toile pour relier les différents niveaux de fiction en un réseau, créant une forme de réalité vraisemblable.